Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/85

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Être rien pour être à sa vraie place dans le tout.

Le renoncement exige qu’on passe par des angoissés équivalentes à celles que causerait en réalité la perte de tous les êtres chers et de tous les biens, y compris les facultés et acquisitions dans l’ordre de l’intelligence et du caractère, les opinions et les croyances sur ce qui est bien et ce qui est stable, etc. Et tout cela il ne faut pas se l’ôter soi-même, mais le perdre — comme Job —. Mais l’énergie ainsi coupée de son objet ne doit pas être gaspillée en oscillations, dégradée. L’angoisse doit donc être plus grande encore que dans le malheur réel, elle ne doit pas être morcelée au long du temps ni dirigée vers une espérance.

Quand la passion de l’amour va jusqu’à l’énergie végétative, alors on a des cas comme Phèdre, Arnolphe, etc. « Et je sens là dedans qu’il faudra que je crève… »

Hippolyte est vraiment plus nécessaire à la vie de Phèdre, au sens le plus littéral, que la nourriture.

Pour que l’amour de Dieu pénètre aussi bas, il faut que la nature ait subi la dernière violence. Job, croix…

L’amour de Phèdre, d’Arnolphe est impur. Un amour qui descendrait aussi bas et qui serait pur…

Devenir rien jusqu’au niveau végétatif ; c’est alors que Dieu devient du pain.

Si nous nous considérons à un moment déterminé — l’instant présent, coupé du passé et de