Page:Weil - La Pesanteur et la Grâce, 1948.djvu/91

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retirer de ma propre âme pour que cette table que j’ai devant moi ait l’incomparable fortune d’être vue par Dieu. Dieu ne peut aimer en nous que ce consentement à nous retirer pour le laisser passer, comme lui-même, créateur, s’est retiré pour nous laisser être. Cette double opération n’a pas d’autre sens que l’amour, comme le père donne à son enfant ce qui permettra à l’enfant de faire un présent le jour de l’anniversaire de son père. Dieu qui n’est pas autre chose qu’amour n’a pas créé autre chose que de l’amour.

Toutes les choses que je vois, entends, respire, touche, mange, tous les êtres que je rencontre, je prive tout cela du contact avec Dieu, et je prive Dieu du contact avec tout cela dans la mesure où quelque chose en moi dit je.

Je peux faire quelque chose pour tout cela et pour Dieu, à savoir me retirer, respecter le tête-à-tête.

L’accomplissement strict du devoir simplement humain est une condition pour que je puisse me retirer. Il use peu à peu les cordes qui me retiennent sur place et m’en empêchent.

Je ne puis pas concevoir la nécessité que Dieu m’aime, alors que je sens si clairement que, même chez les êtres humains, de l’affection pour moi ne peut être qu’une méprise. Mais je me représente sans peine qu’il aime cette perspective de la création qu’on ne peut avoir que du point où je suis. Mais je fais écran. Je dois me retirer pour qu’il puisse la voir.

Je dois me retirer pour que Dieu puisse entrer en contact avec les êtres que le hasard met sur