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le Nouveau Testament montre manifestement qu’une partie infiniment précieuse de la doctrine chrétienne a disparu.

Très probablement, elle a été systématiquement détruite par l’Empire romain dans son opération de domestication du christianisme.

Pour neutraliser une foi, il n’y a pas de procédé plus admirable que de commencer par exterminer la plupart de ceux qui la transmettent, et ensuite d’en faire la doctrine officielle d’un État idolâtre. Après quoi on extermine les hérétiques, et rien n’est plus facile que de ranger parmi eux ceux qui essayent de conserver la foi authentique. Et on canonise des gens comme Saint Augustin.

On constate aujourd’hui à quel point l’opération a réussi, puisque après vingt siècles l’esprit de la Rome païenne inonde l’univers — nous y compris.

Si vraiment les portes de l’Enfer n’ont pas prévalu, cela peut seulement signifier que la vraie foi vit encore en secret au cœur de quelques êtres cachés. Mais bien cachés.

Il est extraordinaire qu’on donne l’adoption officielle du christianisme par l’Empire comme une preuve que le sang des martyrs l’avait emporté sur les persécuteurs, alors qu’au contraire c’est la preuve que les persécutions avaient réussi à un point inouï. Car sous Auguste les mystères d’Éleusis, pourtant réduits à une misérable caricature, ne s’étaient pas laissés transformer en religion romaine officielle.

Au reste ou bien l’Empire romain, en feignant d’adopter la religion chrétienne, l’a escroquée, ou bien l’Apocalypse avait menti. Car bien que Rome ne soit pas, comme on le dit parfois, représentée par la Bête, il ne semble pas douteux que c’est elle qui est représentée par la femme pleine des noms du blasphème, ivre du sang des saints, mère des fornications et abominations de la terre, assise sur sept collines. Ce serait là du mensonge, si l’Empire était baptisable.

La décision de Constantin rendant le christianisme officiel et la guerre des Albigeois accompagnée de l’Inquisition ont été les deux catastrophes de l’his-