décident presque toujours du sort changeant des combats. Dans les limites assignées par le destin, les dieux disposent souverainement de la victoire et de la défaite ; c’est toujours eux qui provoquent les folies et les trahisons par lesquelles la paix est chaque fois empêchée ; la guerre est leur affaire propre, et ils n’ont pour mobiles que le caprice et la malice. Quant aux guerriers, les comparaisons qui les font apparaître, vainqueurs ou vaincus, comme des bêtes ou des choses ne peuvent faire éprouver ni admiration ni mépris, mais seulement le regret que les hommes puissent être ainsi transformés.
L’extraordinaire équité qui inspire l’Iliade a peut-être des exemples inconnus de nous, mais n’a pas eu d’imitateurs. C’est à peine si l’on sent que le poète est Grec et non Troyen. Le ton du poème semble porter directement témoignage de l’origine des parties les plus anciennes ; l’histoire ne nous donnera peut-être jamais là-dessus de clarté. Si l’on croit avec Thucydide que, quatre-vingts ans après la destruction de Troie, les Achéens souffrirent à leur tour une conquête, on peut se demander si ces chants, où le fer n’est que rarement nommé, ne sont pas des chants de ces vaincus dont certains peut-être s’exilèrent. Contraints de vivre et de mourir « bien loin de la patrie » comme les Grecs tombés devant Troie, ayant comme les Troyens perdu leurs cités, ils se retrouvaient eux-mêmes aussi bien dans les vainqueurs, qui étaient leurs pères, que dans les vaincus, dont la misère ressemblait à la leur ; la vérité de cette guerre encore proche pouvait leur apparaître à travers les années, n’étant voilée ni par l’ivresse de l’orgueil ni par l’humiliation. Ils pouvaient se la représenter à la fois en vaincus et en vainqueurs, et connaître ainsi ce que jamais vainqueurs ni vaincus n’ont connu, étant les uns et les autres aveuglés. Ce n’est là qu’un rêve ; on ne peut guère que rêver sur des temps si lointains.
Quoi qu’il en soit, ce poème est une chose miraculeuse. L’amertume y porte sur la seule juste cause d’amertume, la subordination de l’âme humaine à la force, c’est-à-dire, en fin de compte, à la matière. Cette