Page:Weil - La Source grecque, 1953.djvu/56

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Moi, non, jamais, en aucun cas, quand on devrait
m’accorder ces faveurs dont te voilà si fière,
je ne cèderais à ces gens-là. À toi les tables
richement servies, à toi la vie abondante.
Je n’envie rien de tes privilèges.
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Ah ! qu’il arrive donc le plus vite qu’il se pourra !
Que je parte le plus vite possible loin de vous tous !
— N’as-tu aucun souci de conserver ta vie ?
— C’est une belle vie vraiment ! On peut bien l’admirer !
— Mais tu vivrais heureuse si tu étais raisonnable.
— Ne me conseille pas d’être lâche à l’égard des miens.
— Je te conseille seulement de céder aux plus forts.
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Oreste bien-aimé ! comme en mourant tu causes ma perte,
Malheureuse ! à présent où est-ce que je peux me tourner ?
Je suis toute seule, puisque je suis privée de toi
et de mon père. De nouveau il faudra me plier aux ordres
de ces gens que je hais plus que tout au monde.
Mais non ; pour moi, le temps qui me reste à vivre,
je n’en veux plus. Au pas de cette porte
assise, j’attendrai, sans amis, que ma vie s’éteigne.
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Si, à partir du moment où Oreste prend la parole, on lit le dialogue avec la pensée qu’il s’agit du Christ et de l’âme, certains mots deviennent bouleversants. Déjà il faut lire presque toute la plainte d’Electre avec cette pensée. Dans le premier vers qu’Oreste prononce se trouve ce mot μηχανή (mêchanê), où j’ai cru reconnaître un terme liturgique des mystères d’Éleusis se rapportant au mystère de la Rédemption. Électre, qu’Oreste n’a pas encore reconnue sous son apparence d’esclave, a obtenu de prendre dans ses mains l’urne dont on prétend qu’elle contient les cendres d’Oreste. Elle se met à pleurer son frère. L’envoi au loin d’Oreste enfant pour le sauver du massacre, qu’elle rappelle ici, fait songer à la fuite en Égypte. Chaque mot des lignes qui suivent a, en