Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/140

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pas seulement les faibles, mais aussi les plus puissants qui sont asservis aux exigences aveugles de la vie collective, et il y a amoindrissement du cœur et de l’esprit chez les uns comme chez les autres, bien que de manière différente ; or si l’on oppose deux couches sociales oppressives telles que, par exemple, les citoyens d’Athènes et la bureaucratie soviétique, on trouve une distance au moins aussi grande qu’entre un de nos ouvriers qualifiés et un esclave grec. Quant aux conditions selon lesquelles la pensée a plus ou moins part à l’exercice du pouvoir, il serait facile de les établir d’après le degré de complication et d’étendue des affaires, le caractère général des difficultés à résoudre et la répartition des fonctions. Ainsi les membres d’une société oppressive ne se distinguent pas seulement d’après le lieu plus élevé ou plus bas où ils se trouvent accrochés au mécanisme social, mais aussi par le caractère plus conscient ou plus passif de leurs rapports avec lui, et cette seconde distinction, plus importante que la première, est sans lien direct avec elle. Quant à l’influence que les hommes chargés de fonctions sociales soumises à la direction de leur propre intelligence peuvent exercer sur la société dont ils font partie, elle dépend, bien entendu, de la nature et de l’importance de ces fonctions ; il serait fort intéressant de poursuivre l’analyse jusqu’au détail sur ce point, mais aussi fort difficile. Un autre facteur très important des relations entre l’oppression sociale et les individus est constitué par les facultés de contrôle plus ou moins étendues que peuvent exercer, sur les diverses fonctions qui consistent essentiellement à coordonner, les hommes qui n’en sont pas investis ; il est clair que plus ces fonctions échappent au contrôle, plus la vie collective est écrasante pour l’ensemble des individus. Il faut enfin tenir compte du caractère des liens qui maintiennent l’individu dans la dépendance matérielle de la société qui l’entoure ; ces liens sont tantôt plus lâches et tan-