Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/156

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

inutiles par des procédés presque violents, spéculations destinées à ruiner les entreprises rivales, tendent tous à saper les bases de notre vie économique bien plutôt qu’à les élargir. Mais tout cela est peu de chose auprès de deux phénomènes connexes qui commencent à apparaître clairement et à faire peser sur la vie de chacun une menace tragique ; à savoir d’une part le fait que l’État tend de plus en plus, et avec une extraordinaire rapidité, à devenir le centre de la vie économique et sociale, et d’autre part la subordination de l’économique au militaire. Si l’on essaie d’analyser ces phénomènes dans le détail, on est arrêté par un enchevêtrement presque inextricable de causes et d’effets réciproques ; mais la tendance générale est assez claire. Il est assez naturel que le caractère de plus en plus bureaucratique de l’activité économique favorise les progrès de la puissance de l’État, lequel est l’organisation bureaucratique par excellence. La transformation profonde de la lutte économique joue dans le même sens ; l’État est incapable de construire, mais du fait qu’il concentre entre ses mains les moyens de contrainte les plus puissants, il est amené en quelque sorte par son poids même à devenir peu à peu l’élément central là où il s’agit de conquérir et de détruire. Enfin, étant donné que l’extraordinaire complication des opérations d’échanges et de crédit empêche désormais que la monnaie puisse suffire à coordonner la vie économique, il faut bien qu’un semblant de coordination bureaucratique y supplée ; et l’organisation bureaucratique centrale, qui est l’appareil d’État, doit naturellement être amenée tôt ou tard à prendre la haute main dans cette coordination. Le pivot autour duquel tourne la vie sociale ainsi transformée n’est autre que la préparation à la guerre. Dès lors que la lutte pour la puissance s’opère par la conquête et la destruction, autrement dit par une guerre économique diffuse, il n’est pas étonnant que la guerre proprement