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III


Ce qu’on nomme de nos jours, par un terme qui appellerait bien des éclaircissements, la lutte des classes est, de tous les conflits qui opposent des groupements humains, le plus concret, celui dont l’objectif est le plus sérieux. Pourtant là aussi interviennent parfois des entités purement imaginaires qui empêchent toute action dirigée, qui amènent presque tous les efforts à porter dans le vide, et qui presque seules suscitent le danger de haines inexpiables, de destructions inutiles, peut-être de tueries sans limites. La lutte de ceux qui obéissent contre ceux qui commandent, lorsque le mode de commandement entraîne l’écrasement de la dignité humaine chez ceux d’en bas, est ce qu’il y a au monde de plus légitime, de plus motivé, de plus authentique. Cette lutte a toujours existé, parce que ceux qui commandent tendent toujours, qu’ils le sachent ou non, à fouler aux pieds la dignité humaine au-dessous d’eux ; la fonction de commandement, pour autant qu’elle s’exerce, ne peut pas, sauf cas exceptionnels, respecter l’humanité dans la personne des agents d’exécution. Si elle s’exerce sans aucune résistance, elle en arrive inévitablement à s’exercer comme si les hommes étaient des choses, et encore des choses exceptionnellement souples et maniables ; car l’homme soumis à la menace de mort, qui est en dernière analyse