Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/205

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guerre. Jamais les marxistes n’ont analysé le phénomène de la guerre ni ses rapports avec le régime ; car je n’appelle pas analyse la simple affirmation que l’avidité des capitalistes est la cause des guerres. Quelle lacune ! Et quel crédit accorder à une théorie qui se dit scientifique, et qui est capable d’une pareille omission ? Or comme la production industrielle est de nos jours, non seulement le principal moyen d’enrichissement, mais aussi le principal moyen de combat militaire, il en résulte qu’elle est soumise non seulement à la concurrence entre entreprises, mais à une autre concurrence, plus pressante encore et plus impérieuse : la concurrence entre nations. Cette concurrence-là, comment l’abolir ? Doit-elle, comme l’autre, s’abolir par l’élimination progressive des concurrents ? Faut-il attendre, pour pouvoir espérer le socialisme, le jour où le monde se trouvera soumis à la « grande paix allemande » ou à la « grande paix japonaise » ? Ce jour n’est pas proche, à supposer qu’il doive jamais venir ; et les partis qui se réclament du socialisme font tout pour l’éloigner.

Les problèmes que le marxisme n’a pas résolus n’ont pas non plus été résolus par les faits ; ils sont de plus en plus aigus. Bien que les ouvriers vivent mieux qu’au temps de Marx — du moins dans les pays de race blanche, car il en est autrement, hélas, aux colonies ; et même la Russie doit peut-être être exceptée — les obstacles qui s’opposent à la libération des travailleurs sont plus durs qu’alors. Le système Taylor et ceux qui lui ont succédé ont réduit les ouvriers bien plus encore qu’auparavant au rôle de simples rouages dans les usines ; à l’exception de quelques fonctions hautement qualifiées. Le travail manuel, dans la plupart des cas, est encore plus éloigné du travail de l’artisan, plus dénué d’intelligence et d’habileté, les machines sont encore plus oppressives. La course aux armements pousse plus impérieusement encore à sacrifier le peuple