Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/224

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devient matière. De même une plante privée de lumière est changée peu à peu en quelque chose d’inerte.

Ceux qui croient que le surnaturel, par définition, opère d’une manière arbitraire et qui échappe à toute étude le méconnaissent comme ceux qui en nient la réalité. Les mystiques authentiques, comme saint Jean de la Croix, décrivent l’opération de la grâce sur l’âme avec une précision de chimiste ou de géologue. L’influence du surnaturel sur les sociétés humaines, quoique peut-être encore plus mystérieuse, peut sans doute aussi être étudiée.

Si l’on regarde de près non seulement le moyen âge chrétien, mais toutes les civilisations vraiment créatrices, on s’aperçoit que chacune, au moins pendant un temps, a eu au centre même une place vide réservée au surnaturel pur, à la réalité située hors de ce monde. Tout le reste était orienté vers ce vide.

Il n’y a pas deux méthodes d’architecture sociale. Il n’y en a jamais eu qu’une. Elle est éternelle. Mais c’est toujours l’éternel qui exige de l’esprit humain un véritable effort d’invention. Elle consiste à disposer les forces aveugles de la mécanique sociale autour du point qui sert aussi de centre aux forces aveugles de la mécanique céleste ; c’est-à-dire « l’Amour qui meut le soleil et les autres étoiles ».

Ce n’est certainement pas facile, ni à concevoir d’une manière plus précise, ni à accomplir. Mais en tout cas, pour se diriger dans ce sens, la première condition est d’y penser. Il ne s’agit pas d’une de ces choses qu’on peut obtenir par accident. Peut-être peut-on la recevoir au bout d’un long et persévérant désir.

L’imitation de l’ordre du monde fut la grande pensée de l’antiquité pré-romaine. Ce devait être aussi la grande pensée du christianisme, puisque le modèle parfait proposé à l’imitation de chaque homme était le même être que la Sagesse ordonnatrice de l’univers.