Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/237

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doctrines mystiques diffèrent entre elles, elles sont non pas simplement semblables, mais absolument identiques en un certain nombre de points essentiels. Une troisième vérification indirecte, c’est l’expérience intérieure. C’est une preuve indirecte, même pour ceux qui font l’expérience, en ce sens que c’est une expérience qui échappe à leurs facultés ; ils n’en saisissent que l’apparence extérieure et le savent. Pourtant ils en savent aussi la signification. Il y a, tout au long des siècles passés, un très petit nombre d’êtres humains, évidemment incapables, non seulement de mensonge, mais aussi d’autosuggestion, dont le témoignage en cette matière est décisif.

Ces trois preuves sont peut-être les seules possibles ; mais elles suffisent. On peut y ajouter l’équivalent d’une preuve par l’absurde en examinant les autres solutions, celles qui fabriquent pour le bien et la nécessité une unité fictive au niveau des facultés humaines. Elles ont des conséquences absurdes, et dont l’absurdité est vérifiable à la fois par le raisonnement et par l’expérience.

Parmi toutes ces solutions insuffisantes, les meilleures de loin, les plus utilisables, les seules peut-être qui contiennent des fragments de vérité pure, sont les solutions matérialistes. Le matérialisme rend compte de tout, à l’exception du surnaturel. Ce n’est pas une petite lacune, car dans le surnaturel tout est contenu et infiniment dépassé. Mais si l’on ne tient pas compte du surnaturel, on a raison d’être matérialiste. Cet univers, avec le surnaturel en moins, n’est que matière. En le décrivant seulement comme matière, on saisit une parcelle de vérité. En le décrivant comme une combinaison de matière et de forces spécifiquement morales qui appartiendraient à ce monde, qui seraient au niveau de la nature, on fausse tout. C’est pourquoi, pour un chrétien, les écrits de Marx sont bien plus précieux que ceux, par exemple, de Voltaire et des