Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/246

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d’une manière générale, l’atmosphère morale d’une société contient des éléments qui proviennent de classes autrefois dominantes, depuis lors disparues ou plus ou moins déchues. Mais l’inverse aussi est vrai. Comme un chef de l’opposition, destiné à devenir premier ministre, a déjà une clientèle, de même une classe plus ou moins faible, mais destinée à bientôt dominer, a déjà autour d’elle une ébauche du courant d’idées qui dominera avec et par elle. C’est ainsi que Marx expliquait le socialisme de son époque, y compris le phénomène Marx. Il se regardait comme étant l’hirondelle dont la simple présence annonce par elle-même l’imminence du printemps, c’est-à-dire de la révolution. Il était pour lui-même un présage.

La seconde démarche de sa tentative d’explication a consisté à chercher le mécanisme de la puissance sociale. Cette partie de sa pensée est extrêmement faible. Il a cru pouvoir affirmer que les rapports de puissance dans une société donnée, si l’on fait abstraction des traces du passé, dépendent entièrement des conditions techniques de la production. Ces conditions étant données, une société a la structure qui rend possible le maximum de production. En essayant de produire toujours davantage, elle améliore les conditions de la production. Ainsi ces conditions changent. Un moment vient où se produit une rupture de continuité, comme lorsque de l’eau, étant graduellement échauffée, se met soudain à bouillir. Les conditions nouvelles rendent nécessaire une nouvelle structure. Il se produit un changement effectif de puissance, suivi, après un certain intervalle et avec des circonstances plus ou moins violentes, du changement politique, juridique, idéologique correspondant. Quand les circonstances sont violentes, on appelle cela une révolution.

Il y a là une pensée juste, mais, par une ironie singulière, en contradiction absolue avec la position politique de Marx. C’est qu’une révolution visible ne se