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Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/250

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auparavant était la plus efficace possible du point de vue de la production, ne l’est plus ; et de ce seul fait, d’après Marx, il résulte nécessairement que la société abandonne cette structure et en adopte une autre qui soit la plus efficace possible.

Cela, c’est le comble de l’arbitraire. Cela ne résiste pas à une minute d’examen attentif. Certainement, de tous les hommes qui ont participé aux changements politiques, sociaux, économiques des siècles passés, aucun ne s’est jamais dit : « Je vais provoquer un changement de structure sociale afin que la capacité de production actuelle soit utilisée au maximum. » On ne voit pas non plus le moindre signe d’un mécanisme automatique qui résulterait des lois de la nécessité sociale et déclencherait une transformation lorsque la capacité de production ne serait pas pleinement utilisée. Ni Marx ni les marxistes n’ont jamais fourni la moindre indication en ce sens.

Faut-il donc supposer qu’il y a derrière l’histoire humaine un esprit tout-puissant, une sagesse qui veille au cours des événements et le dirige ? Marx alors admettrait sans le dire la vérité que connaissait Platon. Il n’y a pas d’autre manière de rendre compte de sa conception. Mais elle reste quand même bizarre. Pourquoi cet esprit caché veillerait-il aux intérêts de la production ? L’esprit est ce qui tend au bien. La production n’est pas le bien. Les industriels du xixe siècle ont été seuls à faire la confusion. L’esprit caché qui dirige les destinées du genre humain n’est pourtant pas celui d’un industriel du xixe siècle.

L’explication, c’est que le xixe siècle a été obsédé par la production, et surtout par le progrès de la production, et que Marx a été servilement soumis à l’influence de son époque. Cette influence lui a fait oublier que la production n’est pas le bien. Il a oublié aussi qu’elle n’est pas la seule nécessité, ce qui est cause d’une autre niaiserie ; la croyance que la production est l’unique