Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/255

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les heurts entre forces et le progrès de la production, il a eu raison peut-être d’employer ce mot de dialectique. Mais d’un autre côté ce mot, accouplé à celui de matérialisme, révèle aussitôt l’absurdité. Si Marx ne l’a pas senti, c’est qu’il n’a pas emprunté le mot aux Grecs, mais à Hegel, qui déjà l’employait sans signification précise. Quant au public, il ne risquait pas d’être choqué ; la pensée grecque n’est plus assez vivante pour cela. Les mots étaient très bien choisis au contraire pour amener les gens à se dire : « Cela doit signifier quelque chose. » Quand des lecteurs ou des auditeurs ont été mis dans cet état, ils sont très accessibles à la suggestion.

Autrefois, dans les universités populaires, des ouvriers disaient parfois, avec une sorte d’avidité timide, à des intellectuels qui se disaient marxistes : « Nous voudrions bien savoir ce que c’est que le matérialisme dialectique. » Il est peu probable qu’ils aient jamais obtenu satisfaction.

Quant au mécanisme de la production automatique du bien absolu par les conflits sociaux, la conception que Marx en avait n’est pas difficile à saisir ; tout cela est très sommaire.

La source du mensonge social résidant dans les groupes en lutte pour la domination ou l’émancipation, la disparition de ces groupes abolirait le mensonge, et l’homme serait dans la justice et la vérité. Et par quel mécanisme ces groupes peuvent-ils disparaître ? C’est très simple. Toutes les fois qu’une transformation sociale se produit, le groupe dominant tombe, et un groupe relativement inférieur prend sa place. On n’a qu’à généraliser ; toute la science et même toute la pensée du xixe siècle avait cette coutume vicieuse de l’extrapolation sans contrôle ; excepté dans la mathématique, la notion de limite était presque ignorée. Si chaque fois un groupe placé plus bas s’élève à la domination, un jour ce sera le plus bas de