Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/26

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système d’oppression. Je voudrais à ce sujet soumettre une idée, à titre de simple hypothèse, à l’examen des camarades. On peut dire en abrégeant que l’humanité a connu jusqu’ici deux formes principales d’oppression, l’une, esclavage ou servage, exercée au nom de la force armée, l’autre au nom de la richesse transformée ainsi en capital ; il s’agit de savoir s’il n’est pas en ce moment en train de leur succéder une oppression d’une espèce nouvelle, l’oppression exercée au nom de la fonction.

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La lecture même de Marx montre avec évidence que déjà, il y a un demi-siècle, le capitalisme avait subi des modifications profondes et de nature à transformer le mécanisme même de l’oppression. Cette transformation n’a fait que s’accentuer depuis la mort de Marx jusqu’à nos jours, et à un rythme particulièrement accéléré durant la période d’après-guerre. Déjà dans Marx il apparaît que le phénomène qui définit le capitalisme, à savoir l’achat et la vente de la force de travail, est devenu, au cours du développement de la grande industrie, un facteur subordonné dans l’oppression des masses laborieuses ; l’instant décisif, quant à l’asservissement du travailleur, n’est plus celui où, sur le marché du travail, l’ouvrier vend son temps au patron, mais celui où, à peine le seuil de l’usine franchi, il est happé par l’entreprise. On connaît, à ce sujet, les terribles formules de Marx : « Dans l’artisanat et la manufacture, le travailleur se sert de l’outil ; dans la fabrique, il est au service de la machine. » « Dans la fabrique existe un mécanisme mort indépendant des ouvriers, et qui se les incorpore comme des rouages vivants. » « Le renversement (du rapport entre le travailleur et les conditions du travail) ne devient une réalité saisissable dans la technique elle-même qu’avec le machinisme. » « La séparation des forces spirituelles