Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/53

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pensée et la conscience « sont des produits du cerveau humain, étant, en fin de compte, des produits de la nature » ; de sorte que « les produits du cerveau humain étant, en fin de compte, des produits de la nature, loin d’être en contradiction avec l’ensemble de la nature, y correspondent » ; et il répète à satiété que cette correspondance consiste en ce que les produits du cerveau humain sont, apparemment grâce à la Providence, les photographies, les images, les reflets de la nature. Comme si les pensées d’un fou n’étaient pas, au même titre, des « produits de la nature » ! Or, les deux conceptions entre lesquelles Lénine veut nous contraindre à choisir procèdent toutes deux de la même méthode ; pour mieux résoudre le problème, elles en suppriment l’un des deux termes. L’une supprime le monde, objet de la connaissance, l’autre l’esprit, sujet de la connaissance ; toutes deux ôtent à la connaissance toute signification. Si l’on veut, non pas bâtir une théorie, mais se rendre compte de la condition où l’homme se trouve réellement placé, on ne se demandera pas comment il peut se faire que le monde soit connu, mais comment, en fait, l’homme connaît le monde ; et l’on devra reconnaître l’existence et d’un monde qui dépasse la pensée, et d’une pensée qui, loin de refléter passivement le monde, s’exerce sur lui à la fois pour le connaître et pour le transformer. C’est ainsi que pensait Descartes, dont il est significatif que Lénine, dans ce livre, ne mentionne même pas le nom ; c’est ainsi également, on ne peut en douter, que pensait Marx.

On objectera sans doute que Marx ne s’est jamais dit en désaccord avec la doctrine exposée par Engels dans ses ouvrages philosophiques, qu’il a lu l’Anti-Dühring en manuscrit et l’a approuvé ; mais cela signifie seulement que Marx n’a jamais pris le temps de réfléchir à ces problèmes assez pour prendre conscience de ce qui le séparait d’Engels. Toute l’œuvre