Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/64

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syndicats, ni dans les organisations anarchistes, ni dans les petits groupements de jeunes qui ont surgi en si grand nombre depuis quelque temps, on ne peut trouver quoi que ce soit de vigoureux, de sain ou de pur ; voici longtemps que la classe ouvrière n’a donné aucun signe de cette spontanéité sur laquelle comptait Rosa Luxembourg, et qui d’ailleurs ne s’est jamais manifestée que pour être aussitôt noyée dans le sang ; les classes moyennes ne sont séduites par la révolution que quand elle est évoquée, à des fins démagogiques, par des apprentis dictateurs. On répète souvent que la situation est objectivement révolutionnaire, et que le « facteur subjectif » fait seul défaut ; comme si la carence totale de la force même qui pourrait seule transformer le régime n’était pas un caractère objectif de la situation actuelle, et dont il faut chercher les racines dans la structure de notre société ! C’est pourquoi le premier devoir que nous impose la période présente est d’avoir assez de courage intellectuel pour nous demander si le terme de révolution est autre chose qu’un mot, s’il a un contenu précis, s’il n’est pas simplement un des nombreux mensonges qu’a suscités le régime capitaliste dans son essor et que la crise actuelle nous rend le service de dissiper. Cette question semble impie, à cause de tous les êtres nobles et purs qui ont tout sacrifié, y compris leur vie, à ce mot. Mais seuls des prêtres peuvent prétendre mesurer la valeur d’une idée à la quantité de sang qu’elle a fait répandre. Qui sait si les révolutionnaires n’ont pas versé leur sang aussi vainement que ces Grecs et ces Troyens du poète qui, dupés par une fausse apparence, se battirent dix ans autour de l’ombre d’Hélène ?


CRITIQUE DU MARXISME.


Jusqu’à ces temps-ci, tous ceux qui ont éprouvé le besoin d’étayer leurs sentiments révolutionnaires par