L’AMOUR DE DIEU ET LE MALHEUR
Dans le domaine de la souffrance, le malheur est une chose à part, spécifique, irréductible. Il est tout autre chose que la simple souffrance. Il s’empare de l’âme et la marque, jusqu’au fond, d’une marque qui n’appartient qu’à lui, la marque de l’esclavage. L’esclavage tel qu’il était pratiqué dans la Rome antique est seulement la forme extrême du malheur. Les anciens, qui connaissaient bien la question, disaient : « Un homme perd la moitié de son âme le jour où il devient esclave. »
Le malheur est inséparable de la souffrance physique, et pourtant tout à fait distinct. Dans la souffrance, tout ce qui n’est pas lié à la douleur physique ou à quelque chose d’analogue est artificiel, imaginaire, et peut être anéanti par une disposition convenable de la pensée. Même dans l’absence ou la mort d’un être aimé, la part irréductible du chagrin est quelque chose comme une douleur physique, une difficulté à respirer, un étau autour du cœur, ou un besoin inassouvi, une faim, ou le désordre presque biologique causé par la libération