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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/119

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RÉPONSE
À UNE LETTRE D’ALAIN


Je n’ai pas répondu à votre lettre, parce qu’il me semblait plus facile de le faire oralement ; mais, puisque l’occasion ne s’en présente pas, je vais essayer quand même d’écrire très brièvement dans quel sens je voudrais m’orienter. Il me semble que tout ce qui s’est passé depuis trois siècles pourrait, si on voulait, se résumer en ceci, que l’aventure de Descartes a mal tourné. C’est donc qu’il manque quelque chose au Discours de la Méthode. Quand on compare les Regulae à la Géométrie, on sent bien qu’il manque en effet beaucoup. Pour moi, voici la lacune que je crois y trouver. Descartes n’a pas découvert un moyen d’empêcher l’ordre, aussitôt conçu, de devenir une chose au lieu d’une idée. L’ordre devient une chose, me semble-t-il, dès qu’on fait d’une série une réalité distincte des termes qui la composent, en l’exprimant par un signe ; or l’algèbre, c’est cela même, et depuis le début (depuis Viète). Il n’y a qu’une manière de concevoir une série sans la détacher des termes, c’est l’analogie. (C’est là une de vos idées, n’est-ce pas ?) Seule l’analogie fournit la possibilité de penser d’une manière à la fois absolument pure et absolument concrète. On ne pense que des choses particulières ; on ne