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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/143

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seulement de mots, mais aussi d’objets et d’actions. Le choix des images peut, bien entendu, être plus ou moins heureux. Quand il est heureux, elles enferment toujours quelque mystère. L’ordalie du Moyen Âge, par exemple, le feu qui ne brûle pas, l’eau qui ne noie pas les innocents, est une image de cette espèce, claire, mais très grossière. À la même époque, l’alchimie est une image mystérieuse et plus élevée ; c’est bien à tort qu’on a pris les alchimistes pour les précurseurs des chimistes, puisqu’ils regardaient la vertu la plus pure et la sagesse comme une condition indispensable au succès de leurs manipulations, au lieu que Lavoisier cherchait, pour unir l’oxygène et l’hydrogène en eau, une recette susceptible de réussir entre les mains d’un idiot ou d’un criminel aussi bien qu’entre les siennes. Toutes les civilisations autres que celle de l’Europe moderne consistent essentiellement dans l’élaboration d’images de cette espèce.

Parmi toutes les recherches autres que la science positive, la science grecque, malgré sa clarté merveilleuse, inégalée, est pour nous un mystère. En un sens elle est le commencement de la science positive, et à première vue la destruction de la Grèce par les armes semble avoir déterminé seulement une interruption de dix-sept siècles, non un changement d’orientation. Toute la science classique est contenue déjà dans les travaux d’Eudoxe et d’Archimède. Eudoxe, ami de Platon, élève d’un des derniers pythagoriciens authentiques, à qui sont attribuées la théorie du nombre généralisé et l’invention du calcul intégral, combina des mouvements circulaires et uniformes accomplis sur une même sphère, mais autour d’axes différents et avec des vitesses différentes, pour former un