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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/152

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l’humain que la science classique, quoi qu’ait pensé l’orgueil du siècle dernier. Les conditions qu’on cherche à définir dans les deux rapports sont les mêmes, ce sont les mêmes nécessités de l’espace et du temps, obstacles et appui pour le travail de l’architecte ou de tout homme qui crée de l’ordre comme pour n’importe quel travail. Au reste penser les conditions d’un ordre, c’est penser un ordre construit, c’est le rapprocher des ordres qui sont les effets du travail ; d’autre part, tout travail efficace suppose un certain ordre dans l’univers et certaines proportions, sans quoi il n’y aurait ni outil ni méthode ; ainsi les deux rapports semblent se confondre. Mais l’esprit des deux sciences est essentiellement différent. Les Grecs, partout où ils croyaient discerner un ordre, en construisaient une image avec des éléments parfaitement définis ou en se soumettant à la nécessité s’il y avait écart entre cette image et leurs observations, l’écart signifiait l’intervention dans les phénomènes de facteurs autres que ceux qu’ils avaient supposés. On ne peut rien souhaiter de plus rigoureux. Mais cette rigueur parfaite était en même temps poésie.

La définition même de la proportion par Eudoxe, qui constitue la théorie du nombre généralisé, est belle, elle qui enveloppe les variations infinies que peuvent subir quatre grandeurs multipliées deux à deux par tous les nombres entiers possibles, sans jamais cesser d’obéir à la loi qui prescrit à ces produits d’être plus grands ou plus petits les uns que les autres. Plus belle encore fut la première intuition de Thalès, quand il aperçut dans le soleil l’auteur d’une infinité de proportions qui s’inscrivent sur le sol et qui changent avec les ombres ; dès ce premier moment apparaissait ainsi la notion