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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/183

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Découverte, tout est artificiel ; il n’y a que des appareils ; et dans la moindre partie d’un appareil, combien de travail, de peine, de temps, d’ingéniosité et de soins dépensés par des hommes ! Ce n’est pas la nature qui est étudiée là. Comment s’étonner que l’échelle du corps humain joue dans la science un rôle qu’à première vue une échelle de grandeurs semblerait ne pas devoir jouer ?

La physique explore le domaine où il est permis à l’homme de réussir en appliquant la mathématique au prix d’une erreur infinie. Le xixe siècle, ce siècle qui a cru au progrès illimité, qui a cru que les hommes s’enrichiraient de plus en plus, qu’une technique constamment renouvelée leur permettrait de jouir de plus en plus en travaillant de moins en moins, que l’instruction les rendrait de plus en plus raisonnables, que la démocratie pénétrerait de plus en plus les mœurs publiques dans tous les pays, a cru aussi que ce domaine était tout l’univers. Ce siècle, exclusivement attaché à des biens précieux, mais non pas suprêmes, à des valeurs subordonnées, a cru y trouver l’infini ; il était moins malheureux que le nôtre, mais étouffant ; le malheur vaut mieux. En dépit de l’orgueil que nous avons hérité de ce siècle, et dont malgré notre misère nous n’avons pas encore pris la peine de nous dépouiller, il vaut souvent mieux, même aujourd’hui, s’adresser à un vieux paysan qu’à un institut de météorologie si l’on est curieux de savoir le temps qu’il fera le lendemain. Les nuages, les pluies, les orages, les vents, sont encore aujourd’hui en grande partie hors du domaine où nous pouvons substituer aux choses, avec succès, des systèmes définis par nous ; et qui sait si ce n’est pas pour toujours ? Dans les domaines où, au milieu du xixe siècle, de telles substitutions étaient possibles, les savants étaient