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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/20

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sens et des passions, n’était pas la pensée véritable ; ils ont cru trouver la pensée supérieure en quelques hommes qui leur semblèrent divins, et dont ils firent leurs prêtres et leurs rois. Mais n’ayant aucune idée de ce que pouvait être cette manière de penser supérieure à la leur, comme en effet ils n’auraient pu la concevoir que s’ils l’avaient possédée, ils divinisèrent en leurs prêtres, sous le nom de religion, les plus fantastiques croyances. Ainsi ce juste pressentiment d’une connaissance plus sûre et plus élevée que celle qui dépend des sens fit qu’ils renoncèrent chacun à soi, se soumirent à une autorité, et reconnurent pour supérieurs ceux qui n’avaient d’autre avantage sur eux que de remplacer une pensée incertaine par une pensée folle.

Ce fut le plus grand moment de l’histoire, comme c’est un grand moment dans chaque vie, que l’apparition du géomètre Thalès, qui renaît pour chaque génération d’écoliers. L’humanité n’avait fait jusque là qu’éprouver et conjecturer ; du moment où Thalès, étant resté, selon la parole de Hugo, quatre ans immobile, inventa la géométrie, elle sut. Cette révolution, la première des révolutions, la seule, détruisit l’empire des prêtres. Mais comment le détruisit-elle ? Que nous a-t-elle apporté à la place ? Nous a-t-elle donné cet autre monde, ce royaume de la pensée véritable, que les hommes ont toujours pressenti à travers tant de superstitions insensées ? A-t-elle remplacé les prêtres tyranniques, qui régnaient au moyen des prestiges de la religion, par de vrais prêtres, exerçant une autorité légitime parce qu’ils ont véritablement entrée dans le monde intelligible ? Devons-nous nous soumettre aveuglément à ces savants qui voient pour nous, comme nous nous soumettions aveuglément à des prêtres eux-mêmes aveugles, si le manque de talent ou de