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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/207

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en dehors de la science, et les savants mêmes sont en dehors pour toutes les spécialités autres que la leur.

On sort rarement du village ; beaucoup de savants, leur spécialité mise à part, sont bornés et peu cultivés, ou, s’ils s’intéressent à quelque chose en dehors de leur travail scientifique, il est très rare qu’ils mettent cet intérêt en relation, dans leur esprit, avec celui qu’ils portent à la science. Les habitants du village sont enclins à l’étude, brillants, exceptionnellement doués ; mais enfin, jusqu’à un âge où l’esprit et le caractère sont en grande partie formés, ils sont au lycée comme les autres et se nourrissent de manuels médiocres. Jamais nul ne s’est particulièrement attaché à développer leur esprit critique. À aucun moment de leur vie on ne les prépare particulièrement à mettre le pur amour de la vérité au-dessus des autres mobiles ; nul mécanisme d’élimination ne fait d’une disposition naturelle en ce sens une condition de l’entrée dans le village. Il y a des mécanismes d’élimination, au nombre desquels les examens et concours, mais ils ne portent pas sur l’intensité ou la pureté de l’amour pour la vérité. Cet amour, le goût de l’exactitude et du travail bien fait, le désir de faire parler de soi, la convoitise de l’argent, de la considération, de la réputation, des honneurs, des titres, les antipathies, les jalousies, les amitiés, tous ces mobiles et d’autres encore se mélangent chez les habitants de ce village, comme chez tous les hommes, en proportion variable. Ce village, comme tous les autres villages, est fait d’humanité moyenne, avec quelques écarts vers le haut et vers le bas. Il a des traits singuliers ; ainsi le fait d’être périodiquement bouleversé par les changements de mode ; tous les dix ans à peu près une génération nouvelle s’y enthousiasme pour de nouvelles