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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/245

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que si — comme j’en suis convaincue — les stoïciens n’ont rien inventé, mais reproduit en leur langage la pensée de l’orphisme, de Pythagore, Socrate, Platon, etc., on peut dire que pour l’âme ce lieu de son exil est précisément sa patrie, si seulement elle sait la reconnaître. Qui sait si, dans l’Odyssée, l’histoire d’Ulysse se réveillant à Ithaque et ne la reconnaissant pas n’est pas un symbole à cet effet ? L’Odyssée est évidemment farcie de symboles philosophiques (Sirènes, etc.). Les Grecs ont eu plus que tout autre peuple le sentiment de la nécessité. C’est un sentiment amer, mais qui exclut l’angoisse.

Jamais je n’admettrai d’ailleurs que qui que ce soit au xixe siècle ait compris quoi que ce soit à la Grèce. Beaucoup de questions se trouvent ainsi réglées.

Ta thèse, que la doctrine d’un artiste n’a pas d’effet sur son art, ne me paraît pas soutenable. Qu’il ait dans les yeux et les mains des problèmes qui exigent une attention exclusive de sa part, d’accord. Mais ce sont ces problèmes qu’ils ont dans les yeux et les doigts qui, je pense, dépendent de leur conception du monde et de la vie humaine. Cela ne s’applique, il est vrai, qu’à ceux de tout premier ordre. Mais moi, les autres ne m’intéressent guère. Je ne crois pas qu’on puisse soutenir que l’art de Giotto, pour ne citer que lui, est sans rapports avec l’esprit franciscain. Pour la science, de même, je ne pense pas qu’on puisse regarder comme indifférent le fait que Galilée était platonicien. D’une manière générale, je ne pense pas qu’un homme de tout premier ordre accepte une conception de la vie humaine, du bien, etc., du dehors, au hasard (bien qu’il puisse accepter ainsi une étiquette), ni que chez un tel homme aucune forme