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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/247

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en nombres ; s’il a conçu le rapport entre cette moyenne et ce nombre comme un rapport exact, ce qui semblait indiquer que le pouvoir de l’intelligence s’étend à tout ce qui ne se compte pas — alors le ton d’exaltation extatique qui marque toute évocation de la géométrie, et notamment des incommensurables, se conçoit très bien. Non autrement.

Trouver dans les nombres des lois permettant de définir d’avance les caractères (pair, impair, carré, etc.) de nombres qu’on n’a pas formés — trouver, là où le nombre ne peut fournir aucun secours, des rapports numériques aussi exacts que les rapports entre nombres — voilà deux choses enivrantes, mais la seconde bien plus.

Je pense donc que la notion de proportion, telle qu’elle est dans le livre V d’Euclide, est très antérieure à Eudoxe. (C’est ce que je voulais suggérer en indiquant qu’Eudoxe est de filiation pythagoricienne.) La philosophie de Platon est inintelligible si on n’admet pas qu’il ait eu cette notion. Il aurait pu, à la rigueur, l’emprunter à Eudoxe, son contemporain — mais aucune tradition, ni, je crois, aucune « internal evidence » n’indique qu’il ait reçu une révélation d’un contemporain. Aurait-il mis dans la bouche de Socrate l’allusion que je t’ai rappelée à la diagonale du carré si celle-ci avait été, du temps de Socrate, un objet de scandale et le signe d’une faillite ?

Note qu’il y a très probablement eu bouleversement et scandale chez tous les esprits un peu grossiers. Qui sait si la démonstration qu’un même nombre est pair et impair n’a pas servi de modèle à toutes ces démonstrations prouvant une thèse et son contraire (base de la sophistique) qui ont pullulé au ve siècle et démoralisé Athènes ?