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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/274

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classique, elle est aussi, en même temps, tout autre chose. La fameuse formule de Platon, « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre », suffit à le montrer. Ce qu’on venait chercher quand on allait chez Platon, c’était une transformation de l’âme permettant de voir et d’aimer Dieu ; qui songerait aujourd’hui à employer la mathématique à un tel usage ? En Europe, depuis l’ère chrétienne, la période par excellence où l’on a cherché Dieu, et que nous nommons le Moyen Âge, s’est terminée quand on a rénové l’étude de la mathématique ; et Pascal, sur le point de trouver la forme algébrique du calcul intégral, a abandonné l’algèbre et la géométrie par désir d’un contact avec Dieu. Nous ne pouvons imaginer aujourd’hui qu’un même homme soit un savant et un mystique, sinon à des périodes différentes de sa vie. Si un savant a quelque inclination pour l’art ou pour la religion, ces inclinations sont séparées en lui de son occupation principale par une cloison étanche, et, s’il essaie d’opérer un rapprochement, c’est, comme le montre plus d’un exemple, par des lieux communs vagues et d’une banalité significative. De même, au cours des trois derniers siècles, les hommes qui se sont voués à l’art ou à la religion n’ont pas songé à s’intéresser à la science, et si Gœthe semble faire exception, il avait de la science une conception qui lui était propre. Le plus singulier est que, si nous considérons séparément les conceptions scientifiques, artistiques, religieuses de l’Occident depuis la Renaissance, la Grèce apparaît chaque fois comme la source et le modèle. Mais les ressemblances nous trompent, puisque la science, l’art, la recherche de Dieu, unis chez les Grecs, sont séparés chez nous. Keats haïssait Newton ; quel poète grec aurait haï Eudoxe ?