Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/66

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en même temps rester calme ? Ai-je une raison de penser que le bleu du ciel, les nuages blancs ou gris, le contact du papier sur ma main, la chaleur du soleil, sont plus séparés de moi que ma colère, mon inquiétude ou ma joie ? Et comme à la colère succède un calme que je peux croire avoir conquis, de même à la lumière et aux couleurs succède une obscurité que je crois produire, en même temps que le contact de mes paupières, en fermant les yeux. Mais je reconnais facilement que mon irritation est mienne au même titre que l’apaisement qui la suit, ma peur au même titre que ma hardiesse, ma tristesse au même titre que ma joie. De même les ténèbres que j’ai cru produire, le sentiment des paupières qui se touchent, ne se rapportent pas à moi autrement que tout à l’heure la lumière et les yeux ouverts. Certes, si la lumière me fatigue, les ténèbres répondent immédiatement à mon désir ; et de même, des jambes, même malades, s’agitent immédiatement au moindre désir de courir ; mais autre est la course que je désire, autre la course que je sens. Ces ténèbres non plus, je ne les ai pas désirées parsemées de taches, accompagnées du contact des paupières. En un mot, autre chose est désirer sentir, autre chose est sentir. Au contraire, au sujet de toutes ces choses, vouloir me retenir de juger témérairement, c’est me retenir de juger témérairement. Autant qu’il s’agit seulement, non des choses que je pense, mais de ma pensée, le vouloir est par lui-même efficace, et il n’a pas un autre effet que le vouloir même. Vouloir et agir ici ne font qu’un. Aussi, si joie et tristesse, ténèbres et lumière, m’appartiennent au même titre, ma pensée de ces choses est bien autrement à moi, elle est moi. Ce qui fait que je suis, ce n’est pas que je me meus, c’est que je le pense. Quant à ce que j’appelle la