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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/73

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trouvais dans le pouvoir presque miraculeux des géomètres ; ils tracent un triangle, en rappellent quelques propriétés, tracent, comme au hasard ou par inspiration d’autres lignes dont ils énoncent aussi les propriétés, et cela suffit pour que soit soudain évoquée, comme par une cérémonie magique, une propriété du triangle inconnue jusque-là. Cette propriété, les preuves me contraignaient à l’accepter, mais, rigoureusement parlant, je n’y comprenais rien ; si je pensais pouvoir peut être moi-même, un jour, ajouter quelque chose à l’ensemble des mathématiques, je n’espérais pas pour cela arriver à créer les preuves au lieu de les subir. Je supposais seulement qu’à la condition de combiner, en m’aidant d’une certaine habileté instinctive, figures, propriétés et formules, la miraculeuse apparition d’une propriété nouvelle se produirait parfois d’elle-même, le hasard me tenant lieu de manuel. Si l’on m’avait persuadé alors que ni l’étude, ni l’expérience, ni les hasards de la mathématique ne peuvent fournir autre chose que l’illusion de connaître, j’aurais renoncé une fois pour toutes à rien savoir. Mais est-il permis de me résigner ainsi, maintenant que j’ai mis la connaissance en ma possession, en la définissant comme la connaissance de moi, de mon pouvoir sur moi, des conditions de ce pouvoir ? Je ne peux plus que par lâcheté renoncer à me satisfaire au sujet de toutes choses. Ce n’est pas à dire que j’aie l’ambition de répondre à toutes les questions qui pourront se poser à moi ; connaître, par rapport à un problème quelconque, j’ai cru autrefois que c’était le résoudre, je sais maintenant que c’est connaître de quelle manière il me concerne. Répondre effectivement à une question ou savoir à quelle condition il est en mon pouvoir d’y répon-