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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/78

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pas autrement la pensée divine ; car, par un même acte, je pensais, j’existais, je connaissais, de sorte qu’en moi, comme en Dieu, connaître et vouloir ne faisaient qu’un. Mon existence, au moment où je l’ai conçue, m’a rendu compte d’elle-même de telle sorte que je ne puis même penser qu’il y ait lieu d’en savoir plus ; car je suis parce que je pense, je pense parce que je le veux, et le vouloir est sa propre raison d’être. La connaissance par laquelle je saisis autre chose que moi est bien autre ; il n’y est plus question de demander compte. La prise que m’offre le monde ne dépend pas de moi, et quelle qu’elle soit, il n’y a pour moi aucune raison qu’elle soit telle. Elle me donne, ou me donnera quand je la connaîtrai, éminemment l’occasion de poser l’éternelle question de Figaro : « Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? » et de me répondre la seule réponse que cette question comporte : C’est ainsi. Je dois accepter le rapport qui se trouve exister entre mon action et les choses, et je dois de même accepter comme des connaissances les pensées qui déterminent ce rapport ; tant connaître est loin désormais de se confondre avec vouloir. Ainsi, dès lors qu’il s’agit du monde, il ne me sert de rien de m’interroger. Que dois-je donc interroger ? Le monde ? Mon action doit se guider sur lui, mais, quoique le monde tienne ma pensée et ne la lâche jamais, il lui serait malaisé de me guider ou de m’éclairer, guider et éclairer étant des faits de l’esprit.

Puisque le monde ne peut m’enseigner, et que j’ai à m’instruire, j’irai demander des oracles concernant les choses, non aux choses muettes, non à moi ignorant, mais à ce troisième être, cet être ambigu, composé de moi et du monde agissant l’un sur l’autre. Telle semble avoir été la pratique des Grecs,