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Page:Weil - Sur la science, 1966.djvu/98

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action, exercée au moyen du corps et des plus simples outils, autant je saisis l’étendue elle-même en mes sensations. Je ne me contente plus de construire la géométrie, je l’exerce. L’ambiguïté qui se trouve dans la géométrie théorique, qui appartient à la fois à l’esprit et au monde, disparaît ici ; dans l’exercice même de l’action géométrique, dans le travail, la direction que je donne, l’obstacle que je rencontre, sont nettement séparés ; ce qui est objet pour l’esprit, ce n’est plus l’ordre, c’est ce qui dans l’ordre est la part du monde tout seul ; je saisis l’ordre immédiat. L’ordre immédiat, c’est s’étendue nue. Cette étendue que je perçois comme directement, dépouillée de tout mélange d’esprit, de toute parure d’imagination, cette étendue intuitivement saisie, c’est l’espace.

L’étendue est plus pourtant que l’espace, car elle échappe à ma perception autant qu’elle échappe à la prise de mon corps et des outils que j’ai en main. Je fais glisser le Panthéon le long du ciel rien qu’en bougeant la tête, j’en couvre de ma main les parties que je veux, j’en change le relief par mes mouvements, je détermine à quelle distance de moi mes deux regards, braqués sur lui comme deux bâtons qui le saisissent, se rejoignent, et ainsi j’y perçois l’espace ; mais je ne le touche pas. Je ne fais qu’en imaginer la consistance. Car autant que sur un objet je n’exerce aucune prise, j’en imagine une ; mais cette imagination, dans la mesure où elle n’est pas réglée par la mémoire des travaux et des explorations passés, est libre, par suite trompeuse. Ainsi le Panthéon est bien au sommet du triangle déterminé par la distance de mes yeux, que je connais, et la direction de chacun de mes deux regards, que je connais également ; mais un tel triangle n’existe pas pour le soleil. Si je voulais saisir les