Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/107

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Le sabot des ânes sur le rocher, les cris des enfants, le siffle- ment des merles qui s'envolaient, les coups de fusil de mon mari et du garde qui tiraient sur des volées de perdrix rouges, la conversation du marguillier et des petits garçons, faisaient un grand bruit devant notre caravane on aurait pu croire que c'était une bande de maraudeurs qui parcouraient la montagne. Il y avait de quoi épouvanter les petits bergers qui gardent leurs chèvres et leurs moutons sur les lisières des noisetiers que nous traversions. C'est ce qui arriva. Nous aperçûmes bien- tôt, dans une clairière nue au-dessus du sentier, de petits trou- peaux de brebis et quelques chèvres sans berger, sous la garde de deux chiens noirs qui aboyaient avec effroi contre nous. Un peu plus loin, nous vîmes les cendres d'un feu entre deux gros- ses pierres au milieu du sentier. Le feu était éteint, mais il y avait à côté deux paires de petits sabots de bois comme en por- tent les enfants du pays. Nous comprîmes que ces enfants, gar- diens des brebis de leur chaumière, n'étaient pas bien-loin; nous supposâmes, ce qui se trouva vrai, qu'effrayés par le bruit inusité des voix et des coups de fusil sous les noisetiers, ils s'étaient enfuis et cachés sous les bruyères, sans avoir le temps de chausser leurs petits pieds nus. L'idée me vint de leur faire une surprise, qui parut charmante à mes petites filles. Nous fîmes halte auprès des cendres du petit foyer éteint; mon mari plaça une pièce d'argent de douze sols dans chacun des quatre petits sabots mes filles y ajoutèrent une poignée de dragées qu'elles avaient emportées pour leur goûter. Puis nous repar- tîmes en nous entretenant de la surprise et de la joie des petits bergers fugitifs, quand, longtemps après que nous aurions passé, ils se rassureraient assez, en n'entendant plus rien, pour revenir à leur poste et pour y reprendre leurs sabots. Ils croi- raient sans doute que les fées, qui passent dans le pays pour hanter cette partie de la montagne, qu'on appelle la Fa ou la Fée, leur avaient fait ce don en passant dans la brume du soir qu'elles hàbitent. La descente par les ravins creux et sonores retentissait des éclats de rire de nos enfants, en pensant à la peur des petits bergers, à leur étonnement, et puis à leur ravissement et à tout ce qu'ils raconteraient le soir à leur mère. Ce que nous avions prévu arriva. Les petits bergers, en retrou- vant leurs sabots pleins de sucreries et de pièces de douze sols, s'y trompèrent et crurent à l'intervention des fées. Mais leur mère et leur père ne s'y trompèrent pas, et, avec une délicatesse de procédés qu'on trouve souvent dans les gens de la campagne, ils nous rendirent surprise pour surprise, afin de nous montrer qu'ils étaient sensibles à notre bonté. Le domestique, en ouvrant, le lendemain matin, la porte de la maison qui donne sur une cour sans clôture, trouva sur le