Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/149

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prise de la nostalgie (1) de son pays où elle ne devait jamais revenir. Tout à coup, je la vis paraître dans la pénombre, s'étirer loin- guement comme pour se donner le temps de réfléchir encore, puis s'avancer vers moi, hésitante, avec des temps d'arrêt par- fois même, en affectant une grâce toute chinoise, elle retenait une de ses pattes en l'air pendant quelques secondes, avant de se décider à la poser devant elle pour faire un pas de plus. Et toujours elle me regardait fixement, d'un air interrogateur. Qu'est-ce qu'elle pouvait me vouloir ?. Elle n'avait pas faim, évidemment une pâtée fort convenable lui était, deux fois le jour, servie par mon ordonnance. Alors, quoi?. Quand elle fut bien près, bien près, à toucher ma jambe, elle s'assit sur son derrière, ramena sa queue, et poussa un petit cri très doux. Et elle continuait de me regarder, mais de me regarder dans les yeux, ce qui déjà indiquait dans sa petite tête tout un monde de conceptions intelligentes il fallait d'abord qu'elle comprît, comme du reste tous les animaux supérieurs, que je n'étais pas une chose, mais un être pensant, capable de pitié et accessible à la muette prière d'un regard de plus, il fallait que mes yeux pour elle fussent des Jeicx, c'est-à -dire les miroirs où sa petite âme cherchait anxieusementà saisir un reflet de la mienne. En vérité, ils sont effroyablement près de nous, quand on y songe, les animaux susceptibles de concevoir de telles choses. Quant à moi, je dévisageai pour la première fois la petite visiteuse qui, depuis tantôt deux semaines, partageait mon logis d'une couleur fauve de lapin sauvage, toute mouchetée de taches comme un tigre, avec le museau et le cou blancs; laide en effet, mais surtout à cause de sa maigreur maladive, et, en. somme, plus bizarre que laide. Assez différente d'ail- leurs de nos chattes françaises basse sur pattes, allongée en fouine, avec une queue démesurée de grandes oreilles droites, avec un visage en coin de mur; tout le charme dans les yeux, relevés aux tempes comme tous les yeux d'extrême Asie, d'un beau jaune d'or au lieu d'être verts, et sans cesse mobiles, étonnammentexpressifs. Et tout en la regardant, je laissai descendre ma main jusqu'à sa bizarre petite tête, et la promenai sur son poil fauve, pour une première caresse. Ce qu'elle éprouva assurément fut autre chose et plus qu'une impression de plaisir physique elle eut le sentiment d'une protection, d'une sympathie dans sa détresse d'abandonnée. 1. Nostalgie regret do la terre natale, que l'on appelle communément le niai du pays.