Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/176

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et, les ayant attachés avec des cordes, les emmenèrent à Acre pour en faire présent au pacha. Abou-el-Marscli, c'est lé nom de l'Arabe, avait reçu une balle dans le bitas pendant le combat; comme sa blessure n'était pas mortelle, les Turcs l'avaient attaché sur Un chameau, et, s'étant emparés du cheval, emmenaient le cheval et le cavalier. Le soir dit jour'bu ils devaient entrer à Acre, ils campèrent avec; leurs prisonniersdans les montagnes de Saphadt l'Arabe blessé avait les jambes liées ensemble par une courroie de cuir, et était étendu près de la tente où couchaient les Turcs. Pendant là nuit, tenu éveillé par la douleur de sa blessure, il entendit hennir son cheval parmi les autres chevaux entra- vés autour des tentes, selon l'usage des Orientaux il reconnut sa voix, 'et, lie pouvant résister au désir d'aller parler encore une fois au compagnon de sa vie, il se traîna péniblement sur la terre, à l'aide de ses mains et de ses genoux, et parvint jus- qu'à son coursier. «  Pauvre ami, lui dit-il, que feras-tu parmi les Turcs? tu seras emprisonné sous les voûtés d'un kan (1) 'àvec les chevaux d'un aga (2) ou d'un pacha (3) lès fermes et les enfants ne t'apporteront plus le lait de chameau, l'orge ou le doùra (4) dans le creux de la main; tu ne courras plus libre dans le dé- sert comme le vent d'Égypte; tu ne fendras plus du poitrail l'eau du Jourdain, qui rafraîchissait ton poil aussi blanc que ton écume qu'au moins, si je suis esclavé, tu restes libre Tiens, va, retourne à la tente que tu connais va dire à ma femme qu'Abou-el-Marsch ne reviendra plus, et passe ta tête entre les rideaux de la tente pour lécher la main de rites petits enfants. » En parlant ainsi, Abou-el-Marschavait rongé avec ses dents la corde de poil de chèvre qui sert d'entrave aux chevaux ara- bes, et l'animal était libre mais, voyant son maître blessé et enchaîné à ses pieds, le fidèle et intelligent coursier comprit, avec son instinct, ce qu'aucune langue ne pouvait lui expli- quer il baissa la tête, flaira son maître, et, l'empoignant avec les dents par la ceinture de cuir qu'il avait autour du corps, il partit au galop et l'emporta jusqu'à ses tentes. En arrivant et en jetant son maître sur le sable aux pieds de sa femme et de ses enfants, le cheval expira de fatigue. Toute la tribu l'a pleuré, les poètes l'ont chanté, et son nom est constamment dans la bouche des Arabes de Jéricho (5). Lamartine, Voyage en Orient (Hachette, édit.): 1. Kali: lieu prépare pour le repos des chef militairo chez les Turcs. 3. Pacha gouverneur de province eu Turquie. 4. Doura sorto de graine analogue au millet. 5 . ancienne ville de Palestine, près de Jérusalem, sur uu affluent du Jourdain.