Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/187

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Les Bœufs George Sand a passé toute son enfance dans le l3érra/. Elle a vécu dans les plaines verdoyantes, parmi les pâtres. Elles aime les boeufs, et sait comprendre l'âme obscure de ces frères de travail. LES GENS QUI NE connaissent PAS LA CAMPAGNEtaxent de fable l'amitié du bœuf pour son camarade d'attelage. Qu'ils viennent voir au fond de l'étable un pauvre animal maigre, exténué, battant de sa queue inquiète ses flancs décharnés, soufflant avec effroi.et dédain sur la nourriture qu'on lui présente, les yeux toujours tournés vers la porte, en grattant du pied la place vide à ses côtés, flairant les jougs et les chaînes que son compa- gnon a portés, et l'appelant sans cesse avec de déplorables mu- gissements.-Le bouvier dira «  C'est une paire de bœufs perdue; son frère est mort, et celui-là ne travaillera plus. Il faudrait pouvoir l'engraisser pour l'abattre; mais il ne veut pas manger, et bientôt il sera nîort de faim. » George SAND, La Mare au diable (Calmann-Lévy, édit.) . Mes deux Bœufs J'AVAIS DEUX bœufs qui me connaissaient, Bise et Froment, le premier tout blanc, un peu paresseux, il est vrai le second, roux, maigre de l'échine, en revanche rude travailleur. Je les avais choisis parmi les plus robustes; et quel orgueil de se faire obéir de ces grands animaux, qui, au moindre geste, suivaient mes pas dès que j'appuyais ma longue gaule sur le joug! Ils ne pouvaient faire un pas sans moi. Je les menais ainsi à l'abreuvoir, au tombereau, à la crèche, surtout à la charrue. C'est là que je pouvais le plus facilement et le plus longtemps,. régler mon pas sur le leur, et marcher à côté d'eux, fièrement, sans courir. Et quelle patience ils me montraient Quoique j'abusasse assurément de leur douceur, jamais elle ne se dé- mentit un seul instant. Aussi en étaient-ils bien récompensés au bout de chaque sillon. J'allais cueillir des trèfles verts qu'ils mangeaient dans ma main, en me regardant de cet œil profond où je croyais voir tout l'amour qu'ils avaient pour un si bon maître. EDGAR QUINE' Histoire de nies Idées (Hachette, édit).