Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/235

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ces mystérieuses relations de l'infortune il y a de la douceur à pleurer sur des maux qui n'ont été pleurés de personne. Mon hôtesse me regarda encore quelque temps avec un reste de doute, puis elle s'avança et vint passer sa main sur le front de sa compagne de misère et de solitude. Encouragé par cette marque de confiance, je dis en anglais, cari j'avais épuisé mon indien « Elle est bien maigre » L'In- dietine repartit en mauvais anglais « Elle mange fort peu, shé eats very little. On l'a chassée rudement », repris-je. Et la femme répondit « Nous sommes accoutumées à cela toutes deux, both. » Je repris « Cette prairie n'est donc pas à vous? » Elle répondit « Cette prairie était à mon mari qui est mort. Je n'ai point d'enfants, et les chairs blanches mènent leurs vaches dans ma prairie. » Je n'avais rien à offrir à cette créature de Dieu. Nous nous quittâmes. Mon hôtesse me dit beaucoup de choses que je ne compris point; c'étaient sans doute des souhaits de prospérité; s'ils n'ont pas été entendus du Ciel, ce n'est pas la faute de celle qui priait, mais l'infirmité de celui pour qui la prière était offerte. Toutes les âmes n'ont pas une égale aptitude au bonheur, comme toutes les terres ne portent pas également des mois- sons. Je retournai à mon ajoupct(l), où m'attendait une collation de pommes de terre et de maïs. La soirée fut magnifique le lac, uni comme une glace sans tain, n'avait pas une ride; la rivière baignait en murmurant notre presqu'île que les calycanthes (2) parfumaient de l'odeur de la pomme. Chateaubriand, Mémoires d'Outre- Tombe. 1. Ajeupa petite hutte construite avec des pieux et du feuillage. 2 . Calycanthes. beaux arbrisseaux d'Amérique, à grandes fleurs formées de très nombreuses pièces, sépales, pétales et étamines, qui ont fait appeler certaines espèces arbres aux ané- mones ».