Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/257

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Sais-tu quel est celui qui a fait cela? Je le vois dans tes yeux, tu as envie que ce soit le Français. JEAN. Oui, grand-père. LE GRAND-PÈRE. Eh bien sois content c'était le Fran- çais. E. BERSOT, Conseils d'Enseignement (Hachette, édit.) . Après la Bataille Le commandant Pierre Du Breuil vient de rencontrer sur le champ de bataille de Borny, son ami Bersheim, industriel de Metz, qui, aidé d'un domestique, Thibaut, s'occupe à relever les blessés pour les trans- porter à l'ambulance dans un char à bancs. Ils cheminent parnai les blessés, émus de leurs plaintes et de leurs appels d'angoisse. Comme S'ILS cessaient d'espérer, les mourants s'étaient tus, et Bersheim, les yeux pleins de larmes, dit à Du Breuil «  Je n'y vois plus. Tous ces pauvres gens. c'est affreux! Alors, comme ils faisaient quelques pas en trébuchant, car la luné venait de disparaître, et comme on entendait le grincement des roues du char à bancs, du creux d'un fossé sortit une voix étrangère: «  Camarates!»» Ils eurent la même idée, le même sentiment. Et, sans parler, sans se regarder, passèrent. Suppliante, la voix répétait «  Oh camarates camarades» L'accent était si poignant, que les deux Français s'arrêtèrent. Un visage pâle, de Christ roux, s'éclaira soudain à la lueur de la lanterne; des mains jointes se tendirent; on vit le cou en- taillé, la nuque sanglante du soldat. Bersheim fut pris d'un tremblement, parla très bas, très vite, comme dans un accès de fièvre: «  Je ne peux pas. Il y a des Français. Ce n'est pas mon affaire de ramasser des ennemis. » Il y' eut un court silence. Devant cette face blanche, boule- versée de peur et de, souffrance, Du Breuil était envahi d'une sensation, nouvelle, inéprouvée encore, d'émotion intense, de désarroi. Rien ne subsistait en lui de la rage sourde ressentie naguère à s'imaginer le visage de l'Ennemi, teint rouge, durs yeux bleùs; barbe fauve. Tombé aussi, l'élan de haine contre les masses grouillantes, impersonnelles! Une obscure fraternité le prit aux entrailles. Il ne vit plus qu'un malheureux, eut le coeur noyé d'un irrésistible flux de compassion humaine. Le Prussien ouvrait sur eux des yeux dilatés par un immense espoir. Sés .traits s'agrandissaient.Son sourire eût attendri des pierres.