Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ailes de soie bleue, et moi, je nageais nu dans l'eau riante; et je cueillais à pleines mains, à jointées, à brassées, les fleurs de lis blondines. Plus j'en cueillais, plus il en surgissait. Tout à coup, j'entends une voix qui me crie « Frédéri » Je m'éveille, et que vois-je! 1 Une grosse poignée de fleurs de glais couleur d'or qui blondissaient sur ma couchette. Lui-même, le patriarche, le Maître, mon seigneur père, était allé cueillir les fleurs qui me faisaient envie, et la Maîtresse, ma mère belle, les avait mises sur mon lit (1). FRÉDÉRIC MISTRAL, Mes Origirees (Plon-Nôurrit et Ci., édit.) . Jean-Christophe JEAN-CHRISTOPHEEST À LA MAISON, assis par terre, les pieds dans ses mains. Il vient de décider que le paillasson était un bateau, le carreau une rivière. Il croirait se noyer en sortant du tapis. Il est surpris et un peu contrarié que les autres n'y fas- sent pas attention comme lui, en passant dans la chambre. Il arrête sa mère par le pan de sa jupe « Tu vois bien que c'est l'eau Il faut passer par le pont. » Le pont est une suite de rainures entre les losanges rouges. Sa mère passe sans même l'écouter. Il est vexé, à la façon d'un auteur dramatique qui voit le public causer pendant sa pièce. L'instant d'après, il n'y songe plus. Le carreau n'est plus la mer. Il est couché dessus, étendu de tout son long, le menton sur la pierre, chantonnant des musiques de sa composition, et se suçant le pouce gravement, en bavant. Il est plongé dans la contemplation d'une fissure entre les dalles. Les lignes des lo- sanges grimacent comme des visages. Le trou imperceptible grandit, il devient une vallée; il y a des montagnes autour. Un mille-pattes remue il est gros comme un éléphant. Le tonnerre pourrait tomber, l'enfant ne l'entendrait pas. Personne ne s'occupe de lui, et il n'a besoin de personne. Il peut même se passer des bateaux-paillassons, et des cavernes du carreau, avec leur faune fantastique. Son corps lui suffit. Quelle source d'amusement Il passe des heures à regarder ses ongles, en riant aux éclats. Ils ont tous des physionomies diffé- rentes, et ressemblent à des gens qu'il connaît. Il les fait cau- ser ensemble, et danser, ou se battre. Et le reste du corps 1. Il continue l'inspection de tout ce qui lui appartient. Que de à. Il y a, dans ce joli récit do Mistral, côté dos mots provençaux, des tournures spéciales au parler du Midi, que nous n'avons pas jugé utile do signaler, ot quo l'élàve prouvera de lui-même.