Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/79

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de cette bête et les vigoureux contrastes des couleurs vives qui donnaient à sa simarre (1) un éclat impérial; mais, en ce mo- ment, il sentait sa vue troublée par cet aspect sinistre. La pré- sence de la panthère, même endormie, lui faisait éprouver l'effet que les yeux magnétiquesdu serpent produisent, dit-on, sur le rossignol. Le courage du soldat finit par s'évanouir un instant devant ce danger, tandis qu'il se serait sans doute exalté sous la bouche des canons vomissant la mitraille. Cependant, une pensée in- trépide se fit jour en son âme, et tarit dans sa source la sueur froide qui lui découlait du front. Agissant comme les hommes qui, poussés à bout par le malheur, arrivent à défier la mort et s'offrent à ses coups, il vit sans s'en rendre compte une tragédie dans cette aventure, et résolut d'y jouer son rôle avec honneur jusqu'à la dernière scène. Avant-hier, les Arabes m'auraient peut-être tué! se dit-il. Se considérant comme mort, il attendit bravement et avec une inquiète curiosité le réveil de son ennemi. Quand le soleil parut, la panthère ouvrit subitement les yeux puis elle étendit violemment ses pattes, comme pour les dégoui-- dir et dissiper des crampes. Enfin elle bâilla, montrant ainsi l'épouvantable appareil de ses dents et sa langue fourchue, aussi dure qu'une râpe. Elle lécha le sang qui teignait ses pattes, son museau, et se gratta la tête par des gestes réitérés pleins de gentillesse. Bien! fais un petit bout de toilette. dit en lui-même le Français, qui retrouva sa gaieté en reprenant du courage; nous allons nous souhaiter le bonjour. Et il saisit le petit poignard court dont il avait débarrassé les Maugrabins. En ce moment, la panthère retourna la tête vers le Français et le regarda fixement sans avancer. La rigidité de ses yeux métalliques et leur insupportable clarté firent tressaiHirle Pro- vençal, surtout quand la btte marcha vers lui; mais il la con- templa d'un air caressant, et, la guignant comme pour la magnétiser, il la laissa venir près de lui; puis il lui passa la main sur tout le corps, de la tête à la queue, en irritant avec ses ongles les flexibles vertèbres qui partageaient le dos jaune de la panthère. La bête redressa voluptueusement sa queue, ses yeux s'adoucirent; et quand, pour la troisième fois, le Français accomplit cette flatterie intéressée, elle fit entendre un de ces 1. Simarre ce terme, désignant une robe longue et tnainante que portaient autrefois les femmes, s'applique ici au pelage de la panthère.