Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/89

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Ainsi équipé, je sors et je vais sur la place du village, près du portail de l'église, sous deux gros noyers. C'est là que, tous les matins, se rassemblent, autour de leurs moutons, de leurs chè- vres et de quelques vaches maigres, les huit ou dix petits ber- gers de Milly, à peu près du même âge que moi, avant de partir pour les montagnes.. Nous partons, noué: chassons devant ttous le troupeau com- mun dont laJongue file suit, à-pas inégaux, les sentiers tortueux et arides des premières collines. Chacun; de nous à tour de rôle va ramener les chèvres à coups de pieÉtes, quand, elles s'égarent et franchissent les haies., Après avoir gravi; les premières hau- teurs, nues qui dominent le village, et qu'on n'atteint pas en moins d'une heure, au pas des, troupeaux, nous entrons dans une gorge, haute, très espacée, où l'on, n'aperçoit plus ni mai- son ni fumée; ni culture. Les deux flancs de ce bassin soljtaire sont, tout couverts de bruyères aux:petites.fleursviolettes; de longs genêts jaunes dont on fait, des balais; çà et Jà quelques châlgigjUiëi'sg-igantésques, éteildent leurs longues. branches à deiniïiJîJùiés. Les feuilles, brunies par les premièresgelées, pleuvent autour des arbres au moindre souffle de. l'air. Quelques noires corheillessont. per- chées; sur les rameaux les plus secs et les plus morts de cès; vieux arbres; elles s'envolent en croassant à nëtise apj)i"oche. De^gpahds aigles ou éperviers, très élevés dans le firmament, tournent pendant des heures au-dessus de nos têtes, épiant les alouettes dans les genêts ou les petits chevreaux qui se rapprochent de leurs mères. De grandes masses de pierres grises, tachetées et un peu jaunies par les mousses, sortent de terre par groupes sur les deux pentes escarpées de la gorge. Nos troupeaux, devenus libres, se répandent à leur fantaisie dans les genêts. Quant à nous, nous choisissons un de ces gros rochers dont le sommet, un peu recourbé sur lui-même, dessine une demi-voûteet défend de la pluie quelques pieds de sable fin à ses pieds. Nous nous établissons là. Nous allons chercher à brassées des fagots de bruyères sèches et les branches mortes tombées des châtaignierspendant l'été. Nous battons le briquet. Nous, allumons un de ces feux de berger si pittoresques à con- templer de loin, du pied des collines ou du pont d'un vaisseau, quand on navigue en vue des terres. Une petite flamme, clàire et ondoyante, jaillit à travers les vagues noires, grises et bleues de la fumée du bois vert, que le vent fouette comme une crinière de cheval échappé. Nous ou- vrons nos sacs, nous en tirons le pain, le fromage, quelquefois les oeufs durs assaisonnés de gros grains de sel gris. Nous man- geons lentement, comme le troupeau rumine.