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Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/95

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les ailes en voulant tourner l'obstacle, que la linotte perd la tête et cabriole dans l'eau, les pattes collées au bec, l'alouette, qui a vu le danger, boit en rasant l'eau comme l'hirondelle, et s'en va, jetant à l'oiseleur penaud des notes perlées d'une suprême ironie. C'est un des moyens ordinaires dont elle use pour éviter la glu; mais elle en a de plus spirituels encore; et, cette fois, notre alouette mit en. oeuvre, pour nous échapper, toute une série d'idées bien capables d'humilier l'homme, cet autocrate superbe et naïf de l'intelligence. Du premier coup. d'ceil, elle jugea la situation on voulait l'empêcher de boire. Elle fit le tour de la mare pour s'assurer de près si tous les abords en étaient défendus. Convaincue qu'il n'existait plus d'autre brèche que les brèches dangereuses, elle se retira sur. un petit tas de sable, à deux pas de l'eau. Elle resta là quelques minutes, chauffant son ventre au soleil, silen-. cieuse, méditative, se battant de .temps à autre la tête du bout de l'aile, comme un philosophe aux abois qui se donnerait des coups de poing pour faire jaillir des idées de son cerveau. En- fin, elle revient à la mare, se dirigeant droit sur nos gluaux. Je retins mon haleine .pour faire moins de bruit. L'alouette avan- çait toujours, redressant sa petite huppe et grésillant. Dieu1 elle était arrivée à l'endroit fatal pour peu qu'elle inclinât son joli bec, elle était perdue La fine bête le comprit, et, par un léger battement d'ailes, fit un saut en arrière. Elle fut un ins- tant immobile et sembla hésiter. Pourtant, elle ne pouvait par- tir sans. avoir bu! Elle revint vers l'eau; cette fois, lentement, posément. Elle marcha de ce pas réfléchi jusqu'à l'une de nos petites ouvertures; puis là, par une pirouette rapide, tournant la tête vers la lande et jetant la queue sur le gluau, elle entraîna celui-ci à travers le sable, ayant soin de ne pas déployer ses ailes, de peur de les embarrasser. Tant qu'elle sentit les plumes de sa queue alourdies par le fardeau qu'elles traînaient après elles, l'alouette alla à travers le sable sans repos et sans trêve. Enfin, le gluau, terreux, chargé de brindilles de genévriers, se détacha. L'oiseau, libre, but et s'envola. Cette manoeuvre rusée avait eu tout l'intérêt d'un drame mais le. dénouement ayant tourné contre nous, Sauvageol tra- duisit son désappointementpar un juron énergique. Il se leva de mauvaise humeur, alla fixer un nouveau gluau à la porte si adroitementforcée, et revint se coucher dans le taillis, marmot- tant entre ses dents « Quel tour cette coquine nous a joué quel tour »: Nous fûmes dédommagés de sa perte. Les chardonnerets et les linottes, qui s'étaient fait attendre, s'abattirent bientôt en foule autour de la mare. Ces pauvres oiseaux, pressés de boire, tombèrent sur nos gluaux dru comme grêle. Six linottes et