Page:Weiss - À propos de théâtre, 1893.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous y entrerez et irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues. »


M. Coquelin (ou madame Judie) ferait tour à tour la grosse voix sur le discours de Barbe-Bleue, et une voix douce et défaillante sur le mot de réponse de la femme. Et vous verriez se peindre instantanément l’épouvante sur toutes ces mines d’enfants, avec un léger sourire errant sur leurs lèvres !

Ai-je dit tous les mérites des Contes de ma mère l’Oie ? Je n’en ai pas encore signalé le principal : la langue. Cette langue des contes, avec la plénitude, la force, la simplicité et la netteté de son vocabulaire et de sa phrase est, comme la matière même des contes, une conquête que Perrault a faite sur le peuple, seul dépositaire et seule source, ainsi que l’enseignait Malherbe, des bonnes qualités du langage, seul gardien du parler sain et dru. La langue française, dans ce petit livre unique, paraît au point et adaptée comme nulle part ailleurs dans les ouvrages du xviie siècle. Dans la langue de Corneille, dans celle de Bossuet, dans celle de La Bruyère, dans celle même de Racine, nous trouvons aujourd’hui bien du déchet, du bois mort, de la ferraille, de la friperie, quelquefois de l’obscurité, qui résulte comme d’un changement de jargon. Rien n’a passé de la langue dans laquelle Perrault nous