Page:Wharton - Sous la neige, 1923.djvu/181

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qui l’attendait… Et le ravissement de l’aveu de Mattie, le fol étonnement de savoir enfin que tout ce qu’il avait éprouvé, elle aussi l’avait ressenti, lui rendit l’autre vision plus haïssable encore, et plus intolérable la pensée de cette autre existence…

Elle parlait toujours, par petites phrases entrecoupées de sanglots ; mais depuis longtemps il ne l’entendait plus. Elle avait perdu son chapeau, et il lui caressait les cheveux. Il voulait que sa main en gardât un souvenir vivace, qui pût y sommeiller comme une graine en hiver… Une fois encore il rencontra ses lèvres, et il lui sembla qu’ils étaient auprès de l’étang, sous un brûlant soleil d’août. Mais la joue qui effleura la sienne était froide et baignée de larmes : et il crut voir à travers la nuit la route des Flats, et entendre au loin le sifflement du train qui approchait.

Les sapins de Norvège les enveloppaient d’obscurité et de silence, comme si tous deux étaient déjà sous terre, dans leurs cercueils.

« Voilà ce qu’on doit éprouver quand on est mort », songea Ethan ; puis il se dit : « Quand elle sera partie, je n’éprouverai plus jamais rien… »

Tout à coup il entendit hennir le vieil alezan de l’autre côté de la route : « Il doit se demander pourquoi nous ne rentrons pas souper… », pensa Ethan.