Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
152
ESCALADES DANS LES ALPES.

soumises à un frottement beaucoup plus énergique que celui dont les Alpes peuvent offrir l’exemple.

En général, l’opinion du respectable géologue Studer est indubitablement vraie[1]. Non-seulement les bosses de rochers appelées, dans le langage populaire, les roches moutonnées, permettent de suivre en détail les divers effets produits par des glaciers qui n’existent plus, mais la répétition incessante de ces formes convexes fournit le moyen de les constater en masse sur une chaîne de montagnes ou sur une contrée entière à une distance de 25 kilomètres.

Il ne sera pas sans intérêt d’étudier pendant quelques instants l’action des glaciers sur les roches moutonnées, mais, avant tout, il nous faut reculer jusqu’à l’époque où elles n’existaient pas encore.

§ 1. Si jamais la surface de la terre fut aussi unie que si elle eût été soumise à l’action d’un tour, ce ne fut pas, à moins que la géologie ne soit un mensonge, à l’époque où les grands glaciers, dont il reste actuellement de si pauvres débris dans les Alpes, commencèrent à descendre des montagnes sur les basses terres de la Suisse et sur la plaine du Piémont. À moins que les raisonnements géologiques ne soient des erreurs ou des piéges, bien des siècles s’étaient écoulés avant que ce phénomène se produisit. Les rochers avaient été réduits en poussière, et leurs parcelles avaient reformé d’autres rochers. La foudre avait frappé les pics, la gelée avait fendu leurs arêtes, des avalanches avaient sillonné leurs pentes, des tremblements de terre avaient entr’ouvert le sol, les torrents en avaient transporté au loin tous les débris, élargi les fentes, entaillé les pentes, creusé les fissures pendant une période de temps indéfini. Ce n’était donc pas un nouveau monde, un globe sorti du moule, que celui sur lequel les glaciers commencèrent leur travail. Les intempéries

  1. Un des faits les mieux constatés est que l’érosion des glaciers se distingue de celle des eaux en ce que la première produit des roches convexes ou moutonnées, tandis que la seconde donne lieu à des concavités. — Prof. B. Studer, Origine des Lacs suisses.