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CHAPITRE VII.

manière. Cette méthode était lente, mais sûre. Un homme seul se mettait en mouvement à la fois, et s’il glissait (ce qui nous arrivait fréquemment), il était presque immédiatement arrêté par les autres. La sûreté de notre marche donnait toute confiance à celui qui faisait un pas en avant, et non-seulement lui permettait d’employer toutes ses forces, mais soutenait encore son courage dans les mauvais pas. Ces rochers, assez commodes à escalader, comme je l’ai déjà dit, dans les circonstances ordinaires, étaient devenus d’un accès extrêmement difficile. La neige, depuis bien des jours déjà, avait commencé à fondre et à couler en petits filets d’eau qui avaient suivi naturellement la pente même que nous voulions remonter, et qui, regelés pendant la nuit, avaient recouvert les rochers qu’il nous fallait gravir d’une couche glacée, tantôt aussi fine qu’une feuille de papier, tantôt si épaisse que nous devions presque y tailler des degrés. Le temps était superbe, les hommes supportaient patiemment la fatigue et poussaient de grands cris pour réveiller les échos de la Dent d’Hérens.

Nous avancions donc gaiement, et, quand nous eûmes dépassé la seconde plate-forme de la tente, la Cheminée et d’autres endroits qui nous étaient familiers, nous espérions déjà passer la nuit sur le sommet de « l’Épaule ; » mais, avant que nous fussions arrivés au pied de la Grande Tour, un courant d’air froid vint soudain nous avertir de nous tenir sur nos gardes.

D’où venait ce courant d’air ? il était difficile de le déterminer. Il ne soufflait pas comme une brise, mais il semblait plutôt descendre comme l’eau dans un bain de pluie. Tout redevint tranquille ; rien dans l’atmosphère ne dénotait le moindre trouble ; il y régnait un calme plat et on ne pouvait apercevoir nulle part même l’apparence d’un nuage. Mais ce calme ne dura guère ; l’air froid se fit de nouveau sentir, et cette fois il était difficile de dire d’où il ne soufflait pas. Nous n’avons que le temps d’enfoncer nos chapeaux sur nos têtes, car il vient fouetter l’arête et mugir dans les rochers. Des nuages s’étaient déjà formés au-dessus et au-dessous de la Tour, avant que nous eussions pu en gagner la base. On les voyait d’abord