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CHAPITRE VII.

vait apercevoir de notre gîte. À cent vingt-cinq kilomètres de distance, le mont Viso se montrait dégagé de nuages et le soleil se couchait avec un éclat superbe derrière la chaîne du Mont-Blanc. Nous passâmes très-confortablement la nuit dans nos couvertures-sacs, mais les sifflements du vent, les roulements du tonnerre et les chutes des rochers, rendaient tout sommeil impossible. Je pardonnai au tonnerre en faveur des éclairs. Les rochers du Cervin, illuminés par les reflets de la foudre, m’offrirent le spectacle le plus splendide dont je jouirai pendant toute ma vie.

C’est entre minuit et l’aube qu’ont lieu d’ordinaire les avalanches de pierres les plus considérables. J’ai constaté ce fait pendant les sept nuits que j’ai passées sur l’arête du sud-ouest, à des hauteurs variant de 3600 mètres à 4000 mètres.

Je puis cependant me tromper en supposant que pendant la nuit les pierres tombent du Cervin en plus grand nombre que pendant le jour, parce qu’un bruit quelconque produit bien plus d’effet pendant l’obscurité que lorsqu’on peut en reconnaître la cause. Dans le profond silence de la nuit, un simple soupir peut causer une impression profonde. Durant le jour, l’attention se partage probablement entre le bruit et le mouvement des pierres qui tombent, ou bien elle se trouve distraite par d’autres objets ; toutefois les chutes les plus considérables qui se produisirent pendant la nuit eurent certainement lieu après minuit, et ce phénomène peut s’expliquer ainsi : le maximum froid qui se produit en vingt-quatre heures est ordinairement constaté entre minuit et l’aurore.

Le 11, nous nous levâmes à 3 heures 30 minutes du matin, et nous vîmes, à notre grande consternation, qu’il neigeait toujours. À 9 heures, la neige cessa de tomber, et le soleil se montra, mais bien faible encore. Nos paquets faits, nous nous remîmes en marche pour tâcher d’atteindre le sommet de « l’Épaule. » Nous grimpâmes péniblement jusqu’à 11 heures. À ce moment, la neige recommença à tomber. Nous tînmes conseil, et il fut déclaré à l’unanimité que toute tentative nouvelle, dans de telles circonstances, serait inutile ; je dus donc ordonner la retraite.