Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
206
ESCALADES DANS LES ALPES.

auberge de la Grave, sur la grande route du Lautaret ; c’était une espèce de petit caravansérail à peine bâti, à demi écroulé, où rien n’est solide et garanti si ce n’est la mauvaise odeur, comme le remarqua spirituellement mon ami Moore[1]. Melchior était parti, nous laissant une note ainsi conçue : « Le passage de la Brèche est, je crois, possible, mais il sera très-difficile. » Son opinion était la nôtre ; aussi allâmes-nous nous coucher, nous attendant bien à marcher le lendemain dix-huit ou vingt heures.

Nous quittâmes la Grave le lendemain matin à 2 heures 40 minutes ; nous traversâmes la Romanche quelques minutes après notre départ, et à 4 heures nous avions atteint la moraine de la branche orientale du glacier qui descend de la Brèche[2]. Entre les deux bras de ce glacier se dressaient les rochers que nous devions gravir, ils nous paraissaient toujours aussi polis ; en outre, aucune fissure ne s’y montrait. À 5 heures, nous les avions attaqués. De loin, leur aspect nous avait tout à fait trompés. Le plus habile charpentier n’aurait pu construire un escalier plus commode et mieux raboté ; l’aspect poli, qu’ils présentaient à une certaine distance, provenait simplement de leur singulière solidité.

[C’était un vrai plaisir d’escalader ces délicieux rochers. On y marchait avec tant de sécurité qu’il eût été presque impossible de glisser, à moins d’y mettre de la bonne volonté.]

En une heure nous nous étions élevés au-dessus de la partie la plus crevassée du glacier et nous commencions à chercher un chemin pour y entrer. Une plaque de vieille neige s’étendait

  1. La justesse de cette observation sera appréciée par tous les voyageurs qui ont passé une nuit à la Grave avant ou pendant l’année 1864. À cette époque, les écuries des chevaux du courrier qui y relayait, en allant de Grenoble à Briançon et vice versâ, se trouvaient situées juste au-dessous de la salle à manger et des chambres à coucher. Une vapeur âcre et puante, montant à travers les fentes du plancher, infectait constamment la maison entière. Depuis 1864, cette mauvaise auberge, m’a-t-on dit, a reçu quelques améliorations bien nécessaires.
  2. On peut suivre sur la carte qui accompagne le texte notre route de la Grave à la Bérarde.