Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
212
ESCALADES DANS LES ALPES.

chacun de nous jurait à l’envi qu’aucune puissance humaine ne l’obligerait jamais à descendre ou à remonter cette insupportable vallée.

Cependant, le vallon des Étançons, entouré de montagnes splendides, inconnues il est vrai, mais dignes d’une haute réputation, ne méritait pas nos malédictions ; dans une contrée moins désagréable, ces montagnes eussent été très-visitées et vantées comme des types parfaits de hardiesse et de grâce.

Il n’y a peut-être pas bien longtemps, le vallon des Étançons offrait un aspect moins désolé. Un grand nombre des vallées des Alpes françaises ont subi, à une époque tout à fait récente, par suite du déboisement des montagnes, les transformations les plus regrettables[1]. L’abus du droit de pacage et la destruction totale des forêts ont privé le sol des arbres, des plantes et des mousses, et les rayons brûlants du soleil lui ont donné, après l’avoir desséché, la dureté de la pierre ; l’eau des pluies ou des neiges fondues n’étant plus retenue par aucun obstacle, au lieu de s’écouler lentement, forme en quelques instants de profonds ruisseaux, entraîne dans ses flots torrentiels des pierres ou des blocs de rochers qui en quintuplent la force, enlève toutes les terres cultivables et recouvre d’une couche énorme de débris, que les populations ruinées, condamnées à l’émigration, ne peuvent même pas tenter de déblayer, les plaines désormais stériles.

  1. Note du traducteur. On consultera avec intérêt, sur ce triste sujet, le remarquable ouvrage publié par M. Surell, sous ce titre : Étude sur les torrents des Hautes-Alpes. — 2 vol. in-8o. Paris, 1870-1872.