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ESCALADES DANS LES ALPES.

nous n’eûmes qu’à faire un saut de trois mètres environ de hauteur.

Il était quatre heures quarante-cinq minutes de l’après-midi ; nous avions donc mis plus de huit heures et demie à faire l’ascension du pic supérieur, qui n’a que cent soixante mètres de hauteur, suivant les observations faites par M. Bonney, en 1862[1]. Pendant ces huit heures et demie nous ne nous étions guère arrêtés qu’une demi-heure ; nerfs et muscles avaient dû tout le temps supporter la tension la plus extrême. Aussi, on le comprendra aisément, la traversée d’un glacier dans les conditions ordinaires fut-elle acceptée comme un agréable délassement, tout ce qui en d’autres circonstances nous eût paru formidable, nous le traitâmes de pure bagatelle. Malgré l’heure avancée et le peu de solidité qu’offrait la neige, nous marchions si vite que nous arrivâmes en moins de quarante minutes au col des Écrins. Nous ne perdîmes pas de temps à emballer notre bagage, car il nous fallait encore traverser un long glacier et nous frayer un chemin à travers deux cascades de glace, avant que la nuit arrivât, la petite troupe se remit donc en marche à cinq heures trente-cinq minutes, sans boire ni manger, et d’un tel pas qu’elle sortit du glacier Blanc à sept heures quarante-cinq minutes[2]. À huit heures quarante-cinq minutes, nous avions dépassé la moraine du glacier Noir juste au moment où la dernière lueur du jour disparaissait. Croz et moi nous étions un peu en avant des autres, fort heureusement pour nous, au moment où ils allaient commencer à descendre la dernière pente du glacier, toute la partie de la moraine qu’elle supportait s’écroula avec un fracas effroyable.

Nous eûmes alors le plaisir de marcher sur une plaine connue sous le nom de Pré de Madame Carle, couverte de cailloux de toutes grandeurs, et sillonnée d’une quantité de petits tor-

  1. Voir le tome I, p. 73, de l’Alpine Journal. La hauteur assignée au pic supérieur par M. Bonney nous parut trop faible ; nous pensions qu’il fallait bien y ajouter 60 mètres.
  2. Le glacier Blanc se trouve dans la direction indiquée par la flèche placée au-dessus de la lettre E sur le plan, p. 225.