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ESCALADES DANS LES ALPES.

pierres qui y tombent ; aussi des voyageurs prudents ne croient-ils pas devoir les suivre. Ces sillons ne sont le plus souvent, si je ne me trompe, que des gouttières formées par l’eau qui coule des rochers. En tout cas on doit toujours craindre dans les couloirs la chute des pierres ; et, pour diminuer autant que possible ce risque incontestable, il faut monter sur les côtés de la neige, et non au centre. Les pierres qui se détachent des rochers passent généralement alors par-dessus votre tête ou bondissent au milieu du couloir à une distance rassurante.

À 9 heures 30 minutes du matin nous commencions à gravir le couloir qui conduit du glacier Sans Nom à un point de l’arête situé juste à l’est du mont Bans[1]. Jusque-là, notre route était restée resserrée dans une sorte de défilé sans vue ; mais maintenant le regard pouvait s’étendre dans plusieurs directions et le chemin commençait à devenir intéressant. Peut-être bien l’était-il beaucoup plus pour nous que pour M. Reynaud, qui n’avait pris aucun repos la nuit précédente, et qui était en outre pesamment chargé. La science à droit à quelques égards ; aussi ses poches étaient-elles bourrées de livres. Ne faut-il pas relever les hauteurs et les angles ? Son sac était donc rempli d’instruments de toute sorte. Ne doit-on pas en outre prendre ses précautions contre la faim ? Ses épaules étaient ornées d’une immense auréole de pain, et un gigot de mouton pendait derrière son sac comme une queue monstrueuse. Son bon cœur lui avait fait apporter toutes ces provisions, croyant que nous pourrions en avoir besoin : Malheureusement pour lui, nous avions pris, nous aussi, toutes nos précautions ; et, comme chacun avait son fardeau à porter, nous ne pûmes le soulager de ce poids superflu dont tout naturellement il ne se souciait pas de se débarrasser. À mesure que la montée devenait plus raide, l’effort qu’il faisait devenait plus visible. Il commença par risquer quelques plaintes timides. Ce

  1. De la grande route qui conduit de Briançon à Mont-Dauphin, on peut apercevoir, entre la 12e et la 13e borne kilométrique (en partant de Briançon), la partie supérieure du versant méridional du col de Pilatte, et les petits glaciers dont il a été parlé p. 241.